Escapades, Montréal

Avec la pandémie, la slow fashion s’accélère

La slow fashion, qui met de l’avant la mode axée sur une consommation modérée de vêtements de qualité durables dans le temps, connaît actuellement un essor : alors que plusieurs grands détaillants ferment leurs portes, certaines petites boutiques voient au contraire leur clientèle s’élargir.

« Le mouvement de solidarité d’acheter local nous a vraiment aidées, ainsi que le fait que tous les centres d’achats ont fermé », explique Christine Guérin, copropriétaire et designer chez Cokluch, dont la boutique-atelier a pignon sur rue dans le quartier Villeray à Montréal. L’entreprise de vêtements pour femmes et enfants mise sur la création de pièces à la fois intemporelles et confortables.

« On réalise qu’on a développé une nouvelle clientèle avec la pandémie. Des clients qui nous ont peut-être découverts à travers ce cheminement personnel de “où vais-je mettre mon argent” », constate pour sa part Raphaëlle Bonin, fondatrice et propriétaire de la boutique Station Service, sur la rue Rachel. Son entreprise vend des pièces de plusieurs designers montréalais tels que Marigold, Les Enfants Sauvages ou encore Eve Gravel.

Même observation pour Camille Goyette-Gingras, cofondatrice de la Coop Couturières Pop, qui produit les vêtements de plusieurs créateurs québécois dont Rose Buddha et Annie 50 : « Souvent, les marques de mode se partageaient les mêmes clients, ceux qui avaient déjà l’habitude d’acheter québécois. Mais la nouvelle clientèle qui découvre le marché du vêtement québécois comprend assez bien l’importance d’avoir une industrie manufacturière ici ». Camille a aussi remarqué une hausse de la demande pour la réparation de vêtements usagés, et les cours de couture donnés à son atelier connaissent également une popularité grandissante.

Consommer local

La fermeture des frontières et les difficultés d’approvisionnement de matières en provenance de l’étranger y sont aussi pour quelque chose, selon Raphaëlle. « C’est plus aussi facile d’acheter ailleurs. Si tu veux te faire shipper un truc qui vient des États-Unis, ça va prendre quatre fois plus de temps », constate-t-elle.

Même si leurs boutiques ont dû fermer temporairement leurs portes au plus fort du confinement, Raphaëlle Bonin et Christine Guérin ont remarqué une hausse de leurs ventes en ligne. « Ce qui est drôle, c’est que ça se fait un peu à travers les médias sociaux. On apprend à connaître nos clientes à travers Facebook et Instagram, observe Raphaëlle. Elles ont envie de s’acheter des produits coup de cœur et d’encourager l’achat local. »

Pour soutenir le local, le Festival Mode & Design tiendra d’ailleurs un défilé « hybride 100% local » pour la rentrée culturelle, le 9 septembre prochain. L’événement, qui sera retransmis en direct via l’application Yoop, mettra en lumière une quinzaine de nouveaux créateurs d’ici.

« Le but est que les clients achètent moins, mais mieux »

En plus de miser sur le local, le mouvement de la slow fashion opte pour une meilleure qualité, en créant de petites quantités de vêtements. « On est plus dans des produits faits localement, avec des fibres plus naturelles, qui ont un peu plus de travail de d’artisanat, résume-t-elle, en concédant que le prix à payer est plus élevé. Le but est que les clients achètent moins, mais mieux. »

Avant la pandémie, Station Service offrait également un service de location de vêtements, qui demeure suspendu pour une durée indéterminée. En plus d’un nombre maximal de personnes à l’intérieur de sa boutique, du lavage de mains et de l’obligation de porter un masque, Raphaëlle Bonin et ses employés utilisent un appareil à défroisser pour décontaminer les vêtements essayés. Les pièces qui ne peuvent pas l’être sont mises en quarantaine. « Mais souvent les gens n’essaient pas les mêmes choses la même journée, donc ça tombe toujours très bien », assure-t-elle. 

Des mesures similaires sont en vigueur chez Cokluch, qui accueille un maximum de deux clients en même temps. Si avant la pandémie, les salles d’essayage étaient situées l’une à côté de l’autre, elles sont dorénavant relocalisées à des endroits opposés du magasin. « Au début, on était un petit peu stressés, on pensait que ça allait être vraiment déplaisant, mais finalement non, ça va bien », souligne Christine Guérin. 

Une mode indémodable

La slow fashion, tendance pérenne ou mode passagère? Les trois femmes s’accordent pour dire que le mouvement poursuivra tranquillement son essor, mais qu’il reste du travail à faire pour conscientiser la population. « Des entreprises qui faisaient autrefois faire leur production outre-mer nous ont contactées, et elles commencent à choisir de les rapatrier au Québec », explique Camille Goyette-Gingras. « La slow fashion, c’est bon aussi pour notre société parce qu’on se retrouve à contribuer à notre autosuffisance quand il y a des situations de crise », ajoute-t-elle à propos de l’essor des masques artisanaux. 

Elle se désole néanmoins des difficultés vécues par plusieurs fleurons québécois : « Des entreprises comme La Vie en Rose ou Simons sont vraiment des partenaires pour les petits designers. C’est important qu’ils restent là. Ceci étant dit, c’est sûr que ça crée une place pour de jeunes designers, qui était peut-être difficile de se tailler justement à cause du prix de la marchandise ».

Pour Raphaëlle Bonin, la production locale a été « une force pendant la pandémie ». « C’est sûr qu’il y a toujours des gens qui vont chercher le prix le moins cher, il ne faut pas être naïf, mais je pense que les gens réalisent le pourquoi et l’importance », nuance-t-elle, prédisant une augmentation de la production locale. Chez Cokluch, Christine Guérin, estime qu’il y a encore du travail à faire, mais que les gens n’auront pas le choix de s’ouvrir avec la fermeture de grands magasins. « Le fait de venir à la boutique, de voir qu’il y a des gens qui travaillent ici, qu’il y a du monde en arrière, ils trouvent ça le fun et ils comprennent. Ça met aussi des visages sur une compagnie. »

Photo : Cokluch / Maxime Desbiens