Kamúy, le resto qui fusionne les Caraïbes
Entrevues, Montréal

Entrevue : Paul Toussaint du Kamúy, le resto qui fusionne les Caraïbes

Le chef Paul Toussaint a perfectionné sa cuisine entre Haïti et Montréal, du célèbre restaurant Toqué! à Agrikol en passant par Asú à Port-au-Prince. Aujourd’hui, il réalise un rêve : celui d’ouvrir un restaurant montréalais qui ne mettrait pas de frontières entre les différents héritages des îles caribéennes.

Rédigé par Rose Carine Henriquez, journaliste Milo

C’est dans un lieu bouillonnant d’activité qu’on rencontre l’Haïtien Paul Toussaint. Il s’est passé seulement quelques jours depuis la grande ouverture en plein milieu du Quartier des Spectacles le 8 août dernier et des choses restent à être finalisées. Ils font salle comble depuis, se réjouit Paul, qui régalait les clients du restaurant Agrikol depuis son retour d’Haïti en 2017. C’est donc un beau départ.

Ce coup d’envoi a été d’abord été précédé par la fin de l’aventure avec le couple Win Butler et Régine Chassagne, membres du groupe Arcade Fire et propriétaires d’Agrikol. « J’ai été animé par le besoin d’explorer ; Agrikol est un projet plus traditionnel qui retrace la culture haïtienne, raconte Paul. Si tu choisis juste un pays des Caraïbes, tu risques de tomber dans la tradition. Je voulais une fusion qui permet d’ouvrir les horizons, de travailler avec plus de textures et de goûts. »

La pandémie n’a pas été un adversaire insurmontable, même si elle a retardé l’ouverture du restaurant de près de deux mois. Il s’agissait plutôt d’une occasion pour toute l’équipe d’être encore mieux préparée. Le chef avoue n’avoir pas eu de doutes en cours de route : « C’est pas mon style. Il y aura toujours des erreurs ou des problèmes, la vie est ainsi faite. Je dis toujours : après la vie, il y a la vie. Si face à un problème tu dis que tu dois tout arrêter, c’est que tu n’étais pas prêt au départ. Je suis un très grand aventurier, j’aime partir en mission. »

Ce temps d’arrêt forcé a aussi permis un grande réflexion entourant l’industrie, et même la conciliation travail-famille. « La restauration ne peut pas fonctionner tout le temps comme une machine, on peut aussi prendre du recul. Normalement, un été comme celui-là, je suis surchargé, mais là je peux me réveiller le matin et avoir du temps avec mon fils », confie Paul. 

Art et cuisine 

Entouré des chefs Ana (Colombie) et Vincent (Guadeloupe), Paul propose un menu qui évoluera au fil des saisons et des inspirations. À l’heure actuelle, on retrouve des entrées des différentes îles de l’archipel, comme l’illustre la section « Tapas » du menu avec entre autres griot, tamal ou crevettes jerk.

Pour les plats principaux, on arrive sur un terrain plus exploratoire avec par exemple du poisson cuisiné avec du beurre blanc aux fruits de la passion, des gourganes, du poireau et du cresson. Le Lomo al trapo, d’inspiration colombienne, intrigue : il s’agit d’un morceau de viande enrobé de sel et d’épices, puis enveloppé dans un tissu et jeté dans le feu pour la cuisson. « En cuisine, quand c’est osé, ça amène une autre expérience. Souvent, on pense qu’on doit faire ce qu’on a appris à manger à la maison, mais je dis aux gens “si c’est pour ça que tu vas au restaurant, ça ne vaut pas la peine…” »

« Quand je dis culture, je parle de gastronomie, de décor, mais aussi d’art. Je veux que lorsque les gens puissent voyager lorsqu’ils viennent ici »

Kamúy prend place dans l’ancienne Taverne F, petite sœur du Ferreira Café, qui a fermé ses portes en janvier dernier. On n’a qu’à regarder autour de soi pour saisir l’importance de l’art, que ce soit par la peinture, la sculpture ou la photographie. « C’est toute une expérience, et quand je dis culture, je parle de gastronomie, de décor, mais aussi d’art. Je veux que lorsque les gens puissent voyager lorsqu’ils viennent ici. »

Les murs sont revêtus des œuvres de l’artiste Oski (Olivier Vilaire), des poèmes de l’Haïtien Émile Roumer repris par Dany Laferrière et des photographies de Darwin Doleyres. Quant à la conception de l’espace, elle a été imagée par l’architecte-designer Sophie Buteau, une Haïtienne établie à New York. Tout a été pensé pour partager une culture riche. 

« J’ai créé ce restaurant non pas pour l’argent, mais pour changer la manière dont on voit les Caraïbes, les pays d’Afrique, pour passer le message qu’on est fiers, capables, et que si on nous laisse l’opportunité on va créer quelque chose d’unique. On doit sentir qu’il y a de la vie. » On ne pourra peut-être pas y danser – distanciation sociale et mesures sanitaires obligent – mais on trouvera probablement cette chaleur propre aux Antilles, croit Paul. Après tout, Kamúy tire son nom de la langue taïno voulant dire « soleil ».

Photos : Darwin Doleyres

Kamúy

1485, rue Jeanne-Mance – Montréal

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